- D’un vidage de sac -
Gentes dames, gentils messieurs, gens de bonne constitution et gentes de voitures, je vous adresse un bonjour solennel. Un bonjour teinté d’amertume et de dégoût, un bonjour paré de peine et de rage.
Ces derniers jours, je me suis beaucoup demandé – et je m’interroge encore : comment réagir ? que dire ? quel angle aborder ?
Dois-je fustiger les extrémistes fous des dieux ? Dois-je vomir les politicards calculateurs ? Dois-je clamer en cœur avec moutons et loups « Je suis Charlie » sans vraiment comprendre qui est ce Charlie évoqué par tous ? Dois-je m’épancher sur les religions et leurs travers ? Dois-je disserter sur le journalisme moderne et sa soif de sensationnel larmoyant et abject ? Dois-je m’engouffrer dans le débat houleux de « la liberté d’expression » ?
Ne dois-je pas ?
Durant ces deux semaines, Je me suis noyé dans tous les types d’émotions possibles : de l’incrédulité à la soif de savoir, du dégoût à la rage, de la tristesse à l’indignation, du recueillement à l’envie de vomir, de la désespérance au renoncement, de l’empathie à la misanthropie. Encore maintenant, j’ignore sur quel pied danser. J’envie les culs-de-jatte : eux ne se posent pas la question.
Je vous épargnerai la farandole de culpabilité forcée des « Ah ! on se révolte de cet attentat, mais y en a t-il qui pensent aux enfants morts du Nigéria ? »
Certes, c’est atroce. Néanmoins, cela revient à s’obliger d’avoir une pensée pour les affamés à chaque fois que vous mangez. La prochaine fois que vous aurez la flemme de finir votre assiette, je
vous engage à déposer tous ces restes appétissants dans un petit colis que vous enverrez dans le pays de votre choix en l’adressant aux affamés – ils sont légions, vous devriez trouver –, et en
recommandé s’il vous plait. Car nous n’aimerions pas que votre bonté soit détournée au profit de vilains organismes à but faussement humanitaire.
[1]
Je vous épargnerai la valse médiatiquo-avale-excréments que nous devons subir telle une soirée de reggae sous influence extasyque. Le premier mot qui vous viendrait alors à la bouche serait : « FRUSTRATION !! » La seconde chose serait sans doute un dégueulis verdâtre et nauséabond à l’image de la matière sans fond dont on nous gave.
Je vous épargnerai le tango politico-langue boisée des récupérateurs de tout bord, qui ne se satisferont que de la peine de mort ou de la mise sous camisole du peuple.
Je vous épargnerai le salmigondis insidieux de « La liberté d’expression ? C’est la liberté de tout dire ! » C’est faux, mais il me faudrait une chronique entière pour développer.
Je suis ici parce que je ne peux être ailleurs. Alors que putain, j’aimerais. Me trouver sur une planète à des milliers d’années lumière. Ne pas devoir contempler cette mascarade de journaleux en mal de sensations, ces laquais du pouvoir qui ne cherchent même plus à obtenir des vérifications de leurs « informations ». Ne pas avoir à supporter les récupérations à tout-va par des politicards qui n’ont jamais, ne serait-ce qu’une seconde, perdu de vue leur électorat. Ne pas endurer des lois liberticides que l’on va encore nous enfoncer jusqu’au rectum sous prétexte de sauvegarder les dites-libertés (sic).
Aujourd’hui, j’aurais souhaité être drôle en l’honneur de ces impertinents morts parce qu’ils faisaient de la satire (parfois de très mauvais goût, certes), morts parce que des cons ignorent l’existence du second degré et de l’autodérision. Pourtant, je n’y parviens pas. Je me sens surtout lassé et dégoûté, alors j’évacue ma rancœur par l’écriture.
J’écris parce que je ne peux faire que ça.
J’écris car c’est la seule arme que je manie.
Mais à l’intérieur, je crie d’un sanglot infini.
Tenez, un autre truc qui me débecte, c’est que je sais que parmi vous – oh, sans doute pas mes estimés lecteurs, ou alors nous aurions affaire à de pernicieux salopards –, oui parmi tous, certains, une fois passée leur première surprise à l’annonce de l’attentat contre Charlie-hebdo, ont eu comme première pensée « Quelle aubaine ! » … À vous, quelque en soit la raison, je ne souhaite qu’une chose : étouffez-vous dans votre propre vomi fielleux, et plus tôt que tard, car vous, les furoncles putrescents de cette société en déclin, ne méritez aucun respect.
À présent, cerise sur un monticule de fumiers, je m’adresse à vous. Oui ! à vous les christianistes, vous les islamistes, vous les juifistes, vous les intégristes, et de manière plus générale, à vous fascistes, nationalistes, extrémistes, régionalistes, militaristes, totalitaristes, racistes, fondamentalistes, sexistes et je-m’en-foutistes de tout bord… Vous qui êtes trop cons pour même savoir que vous appartenez à au moins l’une de ces catégories.
… Sur vous tous, je crache :
« Je vous emmerde et je ne rentrerai pas à ma maison ! »
Et aux autres : vous vous réclamez d’une liberté mise à mal depuis des générations ? Si c’est maintenant que vous vous réveillez, très bien. Je vous encourage à faire face et à réagir par tous les moyens à votre disposition. Mais si c’est un sursaut de réaction à l’horreur que vous vous empresserez d’oublier une fois passée la semaine de deuil bienséante :
« Allez vous faire fou…gère. »
Et je conclurai mon homélie par une citation de mon bon ami A4-Putevie (qui n’a jamais aussi bien porté son nom), qui me touche par sa pertinence :
« Je pleure tout bas ce que les autres pensent tout haut. »
… Avant de vous beugler :
À la revoyure !
Arno
¤ Illustration ¤ A4-Putevie : http://putevie.over-blog.com/ (Oui, le même que pour la citation).
[1] Non pas que je minimise l’ignominie des actes perpétrés en ce pays et dans d’autres, ni la gravité de la situation. J’estime toutefois qu’il semble étrange et peu judicieux de comparer les malheurs entre eux. Cela revient à dire : « Ah, tu te plains de l’âge de la retraite ? Mais penses-tu aux esclaves qui souffrent dans les bateaux de pêche en Thaïlande ? ». Oui, j’y pense. Les deux ne sont ni antinomiques ni exclusifs.
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