Mes bons aminches, mes fiers lecteurices, affûtez vos plumes, roulez vos parchemins, remplissez vos bidons d’encre et suivez-moi. Nous allons leur montrer à ces pendards, nous allons leur faire voir à ces fumiers. Les pendre haut et court [1] au faîte de leur salle de conseil d’administration, en voilà une solution !
Sifflotez-vous l’Internationale ? Entendez-vous la carmagnole ?
Percevez-vous ce cri d’agonie générale ? Vous y êtes, c’est la révolution... ou pas loin. Enfin, peut-être. On s'appelle et on en parle, d'accord ?
Aaah, la révolution.
Si on en croit les milieux autonomes et anarchistes, elle est déjà pour hier et n’attend plus que la bonne volonté de ces braves gens un peu concons pour advenir et s’imposer face au grand bourreau capitaliste. Monter au créneau, la fourche brandie et le front haut ; scander un slogan bien senti au milieu de ses sémillants camarades tous plus enjoués les uns que les autres ; mourir sur les barricades déchiqueté par les balles ennemies avec aux lèvres un dernier souffle soulagé de crever pour la cause… Ah, la belle vie ! ou plutôt, la belle mort.
Ceci dit, descendons de cette barricade, laissons un temps de côté ce drapeau flamboyant, asseyons-nous sur ce tonneau opportunément placé là, et réfléchissons un peu. J’ai une première question en tête qui est celle de la légitimité du mouvement minoritaire violent.
Quand j’entends « à bas le capital ! » « pendez tous les pourris ! » ou encore dernièrement, le très répandu mais quelque peu amalgamant « ACAB » [2], je ne peux m’empêcher de penser que la route vers une évolution est encore longue et tortueuse.
Je réponds directement à ma question : Je ne crois pas en la légitimité d’une action violente réalisée par une minorité déterminée pour parvenir à ses fins. Elle engendrera toujours une réaction à sa mesure, s'aliènera les masses et sera détournée d'une manière ou d'une autre. Bim ! ça, c’est causé.
Il faut bien se rendre compte que la populace ne se révoltera que si l’on touche (profondément) à ses besoins vitaux : La
bouffe et sa sensation de liberté. Ben oué, ça va souvent pas plus loin que ça. Donnez-lui du pain et des jeux, et le Peuple – aussi indéterminé soit-il ce peuple avec un grand pet – se satisfera
de sa condition. Et quand ces deux raisons sont celles qui poussent les gens à gueuler, on peut se poser la question du devenir de cette révolte.
N’allez pas déformer mes paroles et croire pour autant que je prône la non-intervention et le laisser-pisser.
L’on pourrait penser qu’une révolution pacifique est possible, celle en laquelle je crois malgré tout. Ce serait pourtant sans compter le cul-de-sac dans lequel nous sommes poussés. Si la seule solution qu’on nous laisse est celle de la violence, faut pas s’étonner qu’on l’utilise.
Brutalité et férocité répondent à une violence bien plus insidieuse mais tout aussi cruelle : celle des salons bourgeois et des conseils d’administration, où l’on se dit, au hasard, « vendez tout, augmentez-moi et supprimez donc 2900 postes, voulez-vous ? ».
Quand en face, on se goberge de caviar et de pinard au tarif exorbitant, faut pas s’étonner que des relous viennent la bave aux lèvres réclamer leur part du gâteau qu’ils ne peuvent que reluquer derrière une vitrine en plexi.
Et si je parle « d’en face », c’est bien qu’il existe deux camps. Celui des nantis et celui des exploités, ceux représentés par la pas-si-désuète expression « La lutte des classes ». Les premiers pensent que leur privilèges leur sont attribués de droit divin, même si leur Dieu a pour nom « Économie de marché ». Les autres acceptent leur sort, car avec un couteau sous la gorge on répond rarement « non » à son interlocuteur.
« Quel couteau ? Vous y allez un peu fort dans la métaphore, mon cher ichor », me rétorquerez-vous… mais le chômage, Nicolas, le chômage. Le plus affûté des poignards.
... Ça et le merveilleux rêve que l’on fait miroiter aux gens, qu’un jour peut-être, avec beaucoup d’effort et de volonté [3], ce sera à leur tour de tenir le couteau.
L’on pourrait souhaiter que la révolution de 1789 se soit déroulée autrement, que les élites qui prirent la direction du pays n’aient pas sombré dans la paranoïa et la franche horreur de la Terreur. Que derrière, ce ne soit pas devenu une révolution bourgeoise qui marqua l’avènement de la « révolution » industrielle et du capitalisme. Qu’encore un peu plus tard, un nabot à la main sur le cœur n’ait pu par son intermédiaire soulager sa soif improbable de grandeur et d’impérialisme. Et je ne parle pas de la Sarkose, cette insidieuse autant qu’ignominieuse maladie qui se propage depuis vingt ans déjà.
L’on pourrait… mais c’est l’Histoire (celle avec une grande hache) et nous devons composer avec elle, car, à ce que je sache, Doc n’a toujours pas inventé sa Dolorean propre à outrepasser les voiles du temps.
D’un point de vue personnel, j’y perçois tout autant un premier avènement des idées lumineuses : la fin de la royauté et de ses outrages, l’arrêt du servage, la séparation de l’église et de l’état, l’école pour tous, une remise en cause de l’esclavage [4], une glorification de la démocratie et une explosion du journalisme, à l’origine, organe dévolu à l’information libre et vecteur de ladite démocratie.
Cette révolution marqua le début d'un changement à l'échelle mondiale. Violent certes, chaotique, certes (bis), mais tellement nécessaire. Car il aura permis toutes les avancées sociales, au travers de mouvements populaires de 1789 à 1968, que nous connaissons à ce jour mais que nos enfants ne verront même pas dans les livres d’histoire. Je parle ici du droit de vote universel, des congés payés, de l’avortement, de la retraite égalitaire, du droit de chaque citoyen à vivre une vie pas trop misérable... et j’en passe.
Rappelons d’ailleurs que tous ces mouvements se sont déroulés en désaccord complet avec l’administration en place. C'est-à-dire qu’ils étaient considérés illégitimes à leur début pour devenir, une fois triomphants, des raisons de glorification de notre belle patrie des Lumières.
Vous pourriez me rétorquer, à raison, qu’aucun d’entre eux, en dépit de ses grandiloquents idéaux, n’a abouti à ce qu’ils prônaient ouvertement : un avènement de la souveraineté du peuple, une vraie démocratie, un pouvoir par les citoyens pour les citoyens.
Non, et c'est bien mon propos. Néanmoins, ces insurrections ont également contribué à répandre ces idées.
Ceci étant dit, ces diverses phases violentes illustrent un autre point. Une révolution ne se fait pas par ses idéaux. Et une minorité violente n’obtiendra jamais ce qu’elle désire si elle n’a pas l’appui de la majorité. J’entends par là que même en cas d’aboutissement glorieux, elle sera toujours reprise par les élites, souvent intellectuelles, qui auront senti le souffle du vent. Qu’elles sont toutes passées par une manipulation plus ou moins importante de la masse d’insurgés.
L’insurrection n’est en aucun cas un droit, mais elle est très certainement un devoir.
Alors, certes, il existe encore un combat, plusieurs même, à mener contre les inégalités, contre ces groupuscules oligarchiques qui assoient leur titanesque arrière-train sur le malheur de la majorité de la population. Eux qui, en toute (in)conscience, se permettent de prendre des décisions marquant la vie de millions pour le seul bénéfice de leur coterie de parvenus.
Mais je le dis, nous n’avons jamais été aussi bien armés que nous ne le sommes maintenant. Non pas de fusils avec une fleur à son extrémité, mais de dictionnaires et de plumes, de réflexion et de conscience.
En conclusion, je suis partagé entre la nécessité de la révolution et l’inéluctabilité de son échec. Et bien que je sente le poids des reproches d’Indira Einstein me vriller le dos au moment ou je rédige ces lignes, je vous partage non pas une mais quatre citations qui résument le paradoxe de la situation. Dans le bon ordre :
# Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs.
M. Robespierre
# L'insurrection confine à l'esprit, l'émeute à l'estomac.
V. Hugo
# Chaque révolution s'évapore en laissant seulement derrière elle le dépôt d'une nouvelle bureaucratie.
F. Kafka
# La seule révolution possible, c'est d'essayer de s'améliorer soi-même, en espérant que les autres fassent la même démarche. Le monde ira mieux alors.
G. Brassens
En attendant que l’on déblaye ce sable factice qui recouvre la fange dans laquelle nous évoluons ; en attendant que ces pavés l’on ramasse, pour les jeter à la tête du quidam d’en face, j’entonne :
Hasta siempre, à la revoyure !
L’ichor
[1] Haut et court, oui, car il paraît improbable d’aboutir à un quelconque résultat en les pendants bas et long.
[2] Appellent-ils ainsi le fameux capitaine parce qu’ils ont cru apercevoir une baleine d’albâtre ? Je l’ignore. Ah oui, pour ceux qui voudraient savoir ce qui se cache derrière ce doux acronyme, selon les sources nous avons All Cops Are Bastards ; ou le tout aussi polémique All Cats Are Beautiful. Donc, en bon François, tous les chats sont des batards... ce qui me paraît au final très justifié.
[3] Des efforts de la volonté… ou un ticket de loterie gagnant.
[4] On notera que ce n’était pas vraiment une condamnation unanime de la pratique, hein.
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Dea (lundi, 26 octobre 2015 23:20)
Je te rajoute deux citations de Pratchett ?
"Tous les 5 ans, quelqu'un se faisait élire tyran, à condition de prouver qu'il était honnête, intelligent, raisonnable et digne de confiance. Aussitôt après son élection, bien entendu, tout le monde reconnaissait en lui un fou criminel. [...] Puis 5 ans plus tard, on en élisait un autre tout pareil..."
(les petits dieux)
"Abattre d'une balle le dictateur et empêcher la guerre? Mais il ne représentait que le sommet du furoncle purulent de la sanie sociale d'où émerge son espèce; qu'on l'abatte et un autre surgit dans la minute. L'abattre lui-aussi? Pourquoi ne pas abattre tout ce qui bouge ? D'ici 50 ans, 30 ans, 10 ans, le monde aura quasiment repris son ancien cours. L'Histoire garde toujours une grande inertie. Presque toujours..."
(nobliaux et sorcières)
L'ichor (mardi, 27 octobre 2015 12:45)
Héhé,
Voilà deux citations fort à propos!
Il avait le verbe adéquat, Sir Pratchett. Nul doute.
Merci pour la lecture !