- Du temps et de l’argent -
Mesdemoisieux, je vous salutationne bien bas.
Observer deux barbarismes dans une phrase d’introduction aussi courte n’étant pas chose commune, je vous
demanderai d’apprécier le fait à sa juste mesure. Merci.
Sans aucune transition, évoquons donc le thème du jour. Je me figure que vous connaissez tous le bon vieil adage :
« Le temps, c’est de l’argent ! »
Quelle blague.
Vous imaginez si nous usions de temps comme monnaie ? Nous vivrions dans un drôle de monde. Comment ça « c’est déjà le cas » ? Ah oui, nous vivons en effet une époque rigolote dans un monde drolatique.
Je suppose que dans notre bonne société au capitalisme « irrémédiable », il se tient ce proverbe. Mais j’aurais tendance à privilégier quelque chose comme : « L’argent, c’est du temps » qui, dans le contexte, paraît plus pertinent.
Ou encore mieux : « Le temps, c’est du temps et, quand même, c’est déjà bien. »
Parce que bon, soyons clair, la valeur érigée en objectif primaire et primal dans notre société est celle de l’argent (via le sacro-saint Travail) en temps qu’appât, but, rêve ou échappatoire. Travaille plus, gagne plus ; gagne au loto, ne travaille plus ; aies plus d’argent que ton voisin, tu le mérites, mais, surtout, montre-lui.
In fine, en cherchant à gagner de l’argent, ne perd-on pas notre temps ?
Ah ! Je vous invite à méditer sur cette phrase digne d’un philosophe de comptoir à des heures indues de la nuit.
… … …
Bien, nous pouvons reprendre.
Je préfère de loin : « On a qu’une vie », ce qui est vrai sauf si l’on est un chat. Et dans ce cas là, on peut sans doute se permettre d’en perdre deux-trois sans trop s’en faire. Mais une fois la neuvième bien entamée, on en revient aux mêmes questions existentielles :
« Qu’ai-je donc pu br… outer de toutes mes existences ? Était-ce bien nécessaire de vérifier si je retombais vraiment sur mes pattes après une chute de 152 m ? [1]»
Maintenant que j’ai épuisé ma réserve de lieux-communs porteurs de sens mais pas tant que ça, attachons-nous à pénétrer le vif du sujet de notre plume acérée.
Eh bien moi, à l’instar de Gollum son anneau, mon précieux c’est le temps. Cette valeur, je la privilégierai toujours par rapport à sa contrefaçon proverbiale. Aucun des deux ne se mange, certes. Le temps possède néanmoins une odeur.
« Laquelle ? » vous entends-je hurler au loin, incrédule.
Celle de la liberté ? Celle du choix conscient ? Celle de l’émancipation personnelle ? Celle du plaisir de l’occuper ? Un peu toutes à la fois. Je peux ainsi certifier que cet effluve se révèle des plus enchanteurs pour qui se donne la peine de le humer.
Tel le lapin du pays des merveilles, depuis que j’ai compris cela, je ne cours pas après le gain, mais après cette denrée rare. Comme ce rongeur aux fantasques oreilles, je scrute ma montre et m’affole à l’idée de ne jamais le rattraper.
À présent, minuscule aparté, je vous laisse imaginer deux histoires : l’une dans laquelle l’anneau-pour-les-gouverner-tous-pour-les-trouver-pour-les-ramener-et-dans-les-ténèbres-les-lier est retrouvé par un lapin blanc seulement vêtu d’une veste à carreaux et d’un lorgnon ; et l’autre où Alice poursuit Gollum dans un terrier... Sans doute ces récits auraient-ils alors pris une tournure toute autre.
Bref, où m’arrêtais-je ?
* Manque d’inspiration, cherche dans son sac pour voir s’il n’aurait rien oublié. *
Ah ? Mon fourre-tout à lieux communs n’était point vide. En fouillant bien, caché dans ses replis poussiéreux, j’en ai dégotté un autre :
« L’argent fait le bonheur. »
…
Quelle blague (bis) !
Nan, mais sérieux, la relation de causalité entre ces deux paramètres est loin d’être établie. Par contre, soyez certains que la réciproque se devrait d’apparaître au menu du jour : « Ne pas avoir d’argent ne fait pas le bonheur. »
Sans thunes, bien difficile de se loger, se nourrir, s’habiller, payer ses factures… Et ne parlons pas d’aller boire un verre, sortir au ciné, en concert et cætera. Vous objecterez peut-être que l’on peut s’exiler dans la pampa et adopter une vie autarcique. Le bonheur simple de cultiver ses patates, se laver à la rivière et déféquer dans la sciure.
Oué, d’accord. Je dois l’admettre, le dernier argument m’attire particulièrement.
Cela étant dit, j’aborde à présent le temps fort de ma chronique, le point d’orgue, le paroxysme dramatique, comme le disent les gens qui savent de quoi ils parlent : LE CLIMAX !
Si vous avez bien suivi, alors vous subodorez déjà où je veux en venir.
Si ‘‘temps = argent’’ et que ‘‘argent = bonheur’’ … Alors ? Mmh
?
Eh oui, estimé lecteur digne du rejeton de Sherlock Holmes et d’Alan Turing ! Malgré la véracité douteuse de ces deux équations, on en obtient une nouvelle beaucoup plus proche de la réalité :
« Le temps libre fait le bonheur »
En quelque sorte, comme la multiplication de deux nombres négatifs qui donnent un résultat positif.
Et cette nouvelle maxime, somme toute beaucoup plus crédible, je voudrais par le biais de cette chronique la soumettre officiellement au fameux et incontournable ‘Dictionnaire des dictons et proverbes populaires français’. Vous conviendrez, je l’espère, de l’utilité de ma démarche.
J’aurais également souhaité vous entretenir de certains autres sujets comme : de l’importance de ne rien faire ; du plaisir de l’ennui ; de la fertilité de l’imagination laissée à la dérive ; de la nécessité de l’introspection ; de la conscience de transmettre quelque chose ; de ne pas se retourner sur son lit de mort pour ne contempler qu’un désert aride de 50 ans de servage épuisant, d’enfants ingrats qui n’attendent que votre conséquent héritage pour enfin « vivre », de désillusion et d’aveuglement.
J’aurais souhaité mais… je n’en ai plus le temps.
Sur cette ironique et fallacieuse pique, mesdemoisieux, je vous en conjure :
À la revoyure !
Arno
[1] [NOTE HARDCORE, niveau 2] La réponse est d’ailleurs « oui » : après une chute de 152 m, telle la tartine sur le côté beurré, le félin se réceptionne bien sur ses pattes… même si dans la milliseconde qui suit, ces dernières explosent en un peu ragoûtant entrelacs d’os, de cartilage et de sang virevoltant en tout sens. [/NOTE HARDCORE]
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