Nique la Kro! n°7

- De l’attention portée au sujet -

 

   Sieurs et sieuses, je vous gratifie d’un « bonjour ! » retentissant et plein d’entrain.

   Après cet interlude de festes et de faste et car cela semble de bon aloi dans notre belle société, je me dois comme tout un chacun de vous souhaiter une année point trop pourrie.

    En ce lundi, afin de clore mon pertinent argumentaire sur la communication, je vais aborder le troisième volet dont le sujet est « l’attention qu’on lui porte [au sujet] [1]. »

 

   Il fut un temps, non pas que je le regrette (mais un peu quand même, c’est aussi ça ‘‘prendre du bouchon’’), où l’on portait grande attention au sujet qu’on nous proposait. En y réfléchissant, c’est sans doute que l’on ne pouvait pas faire autrement, mais qu’importe. C’était le temps de la préhistoire informatique, cette lointaine et mystérieuse époque des années 90 (une période que l’on peut détester pour le goût bien trop prononcé pour les chemises à carreaux canadiennes et les pantalons de survêtement dégueulassement vert et violet, pour ses coupes de cheveux à peine plus distinguées que celles de la décennie précédente et, aussi, pour Céline Dion).

   Dans ce temps là, possédait-on une cassette audio d’un groupe adulé ? PAF, c’était 33 fois d’affilée dans le radiocassette !

   Une VHS [2] d’un film qu’il était bien ? BIM, 26 visionnages dans l’année. Je peux vous certifier qu’on les connaissait par cœur les répliques, ralentissement de la bande magnétique inclus.

   Où veux-je en venir ? Bonne question, estimé lecteur, et je vous en sais gré de me la poser.

 

   C’est en cette époque incertaine et teintée d’obscurantisme que s’est démocratisé internet. D’abord avec ces modems aux bruits rigolos et à la vitesse de connexion improbable. C’était une période que d’aucun qualifierait d’étrange et mystérieuse. Une période où obtenir des informations représentait un défi de tous les instants.

Ensuite, est apparu le messie tant attendu, le sauveur de notre temps et de nos connexions : le sacro-saint Adéhessel, loué soit-il.

   D’un cliquetis de souris, nous gambadions alors de page en page, nous sautillions d’information en information, nous voltigions de lol-chats en lol-chats. Nous nous égarions ainsi dans les méandres de la toile et de ses infinies ramifications.

   Ah ! le bonheur du savoir. Oh ! le plaisir de la connaissance ! Ih ! la mignonnerie de ces chats-lol...

   Les entreprises internettiennes ne mirent pas longtemps à appréhender le phénomène et à en tirer parti et profit. C’est ainsi que toute une génération s’est modelé avec l’accès illimité à des informations en tout genre.

 

   Je vais à présent vous honorer d’un nombre pris au hasard sur un site aux références aussi douteuses que mes affirmations : le temps moyen d’un internaute passé sur un site est de 30 secondes… mince, j’espère que je relève un peu la moyenne avec le mien. Et dire que c’était celui nécessaire pour afficher une page à l’époque des modems facétieux.

   Dans ma grande mansuétude, je vous en accorde un autre de nombre, car l’avarice n’est pas mon principal défaut : 3.

« 3 quoi ? me direz-vous.

   Ben ‘3’, c’est un nombre pour autant que je sache, me défendrai-je.

   Oui, certes. Mais que vient-il faire ici ? » me rétorquerez-vous avec pertinence. 

   Eh bien, c’est encore une excellente interrogation et je suis fier d’avoir des lecteurs qui ne s’en laissent pas compter. 3, c’est le nombre de secondes nécessaires avant qu’une partie non-négligeable d’entre vous quitte un site pour raison de délai intense.

   Encore Un ? Ah, je ne vous connaissais pas si friands de mathématiques ! Soit, en voici un nouveau : selon ‘sieur Shmidt de la petite entreprise ‘‘Lunette Anglaise’’, nous croisons tous les deux jours autant d’informations que nous l’avons fait entre l’aube de la création et 2003… Vertigineux, hein ?

 

   De ces chiffres découle un fait d’importance, un phénomène qui touche une grande majorité des gens à l’heure d’internet. Je veux parler ici de ce besoin d’instantanéité et de sensationnalisme.

   Devant la marée d’information à laquelle nous sommes confrontés, nous avons tendances à ne nous focaliser que sur telle ou telle nouvelle (et encore, pas bien longtemps si l’on en croit les chiffres). Par contre, concernant toute théorie, affirmation ou problématique qui mérite mieux qu’un simple tweet de deux lignes, on se retrouve avec des commentaires du style « tr/dr », à savoir « too long, didn’t read »… ou, en bon françois de nos campagnes : «Qu’est-ce tu m’emm... bête avec ton texte de trois  kilomètres de long, là ! Tu crois pas que j’ai des trucs plus mieux à faire dans ma vie ? »

   Ce à quoi je répondrais d’un smaïley au visage empreint de scepticisme : :/

   Scepticisme non pas dirigé contre le fait que la personne en question ait mieux à faire dans sa vie. Je peux assumer que tel soit le cas. En fait, estimé lecteur, je vous sais avoir des trucs ‘achement-trop-plus-mieux à br…outer de votre existence.

   Non, scepticisme envers cette ferveur ambiante pour l’information rapide et prédigérée. Insipide ?

 

   Ce n’est pas étonnant dans ce contexte que l’industrie du livre en prenne pour son grade.

   Qu’allons-nous nous embêter à « perdre » dix heures pour feuilleter un livre lorsque l’on peut dégotter un résumé en vidéo prélevé sur tutube, ou voir au cinéma cette adaptation si fidèle. Qu’allons nous nous enquiquiner à consulter des journaux aux articles fouillés et référencés quand un 20h de TF1 nous procurera une vision claire, exhaustive et pertinente de l’actualité du monde. Sans aucunement instiller la peur dans nos petits esprits fragiles. À aucun moment. Non. Jamais.

 

   D’ailleurs, j’ai beau m’ériger en avocat du guacamole, me targuer de la bonne parole, je peux bien m’affubler du beau rôle, je participe également de cette frénésiole [Rime bancale spotted]. Néanmoins, pour faire bonne mesure, je vous inflige aussi des textes à la longueur incertaine, ce qui me permet de faire le tri entre les estimés lecteurs et les… moins-estimés.

   Et sur cette (im)pertinente distinction, je vous ronchonne :

À la revoyure !

Arno

Image by A4.Putevie



[1] Je vous impose de lire ces magnifiques brûlots que sont les Nique la Kro ! n°5 et n°6. Ils se révèlent édifiants ! (si-si,  je vous l’assure).

[2] VHS signifie Video Home System et donc, en bon françois : Vidéo-Maison-Système. Pour mes jeunes lecteurs qui n’auraient pas l’heur d’avoir connu cette époque fantasmabuleuse (si-si), la VHS était un format vidéo incroyable, doté d’une qualité d’image prodigieuse, où il n’était absolument pas nécessaire de rembobiner la bande magnétique pour pouvoir re-re(-re x23)-regarder cet excellent film que l’on avait chopé lors de sa diffusion Tévé.

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